
Dans mon enfance, je n’avais, pour seule compagne, que mon imagination pour voyager.
J’ai traversé des pays, des continents dans ma petite chambre. j’ai orné mes cahiers de poésies, de ces plus beaux paysages, j’ai couru entre les arbres de mes rêves. Sur le chemin de terre qui menait au jardin, mon papa traçait de jolis carrés, les légumes poussaient en rang droit comme des I . Parfois, il y ajoutait des tuteurs pour les aider à prendre de la verticalité, et ainsi se dresser vers le ciel .Ces tuteurs étaient de toutes les couleurs, de bric et de broc, je pouvais les voir danser au gré du vent, chanter en fin de soirée, où l’orage pointait le bout de son nez comme un grand orchestre. Il me racontait des histoires d’un pays lointain qu’il avait aimé, et quand l’orage arrivait, il était émerveillé tout comme moi de cette puissance naturelle. Ne prends jamais la même route mon fils, les habitudes ne sont pas bonnes à prendre. En ces moments incertains, laissez moi vous conter l’histoire de mes promenades, donnez moi votre main, laissez moi vous ouvrir un bouquet de couleurs, vous lire les cartes postales de mes boîtes à lettres. Ne comptez plus sur moi pour grimper sur les plus hautes collines de ce monde ni pour nager dans les plus belles mers. Je suis de travers, mon corps ne veut plus se dresser face au ciel, je vois le monde en diagonale et, au loin, ce château indomptable que j’ai rêvé d’investir ; il est là, face à moi aujourd’hui. Tel un Don Quichotte devant son moulin, je m’accroche malgré la dureté de ce sol que je n’arrive plus à sentir. Mon pied est collé à cette terre.
Seb Russo

Seb Russo Une vie de dessins par Jeanine Rivais
Quand nous nous sommes rencontrés à Han-sur-Lesse, il y a quelques années, au milieu d'une trentaine d'autres artistes, je suis persuadée que personne ne pouvait deviner que j'étais issue d'un milieu paysan de la France profonde, toi d'un milieu ouvrier ; dans les deux cas, des gens aculturés, comme disait Dubuffet, incapables de comprendre qu'on ne soit pas désireux de rester à leurs côtés pour toujours !
Mais est-ce un hasard si nous nous sommes trouvés dans un festival marginal et non dans quelque galerie d'Art contemporain ? Et même si je ne suis pas très familière avec ta démarche, j'ai bien compris que tu veux à tout prix -ce que tu n'as pas eu- aider les artistes en mal de lieux d'expositions. Et, avec Trakt, donner la parole à ceux qui ne l'ont que rarement possédée !
Suivant le fil de ton histoire, il est évident que ton père a tenu dans ta vie LA place de choix, même si -lui, l'ouvrier italien exilé en France- il n'a jamais compris tes aspirations. Aussi forte qu'ait pu être son emprise, je trouve que la phrase, toute simple mais irrépressible, qui résume bien ta détermination, ta victoire sur lui qui ne veut pas te voir aux Beaux-Arts, et sur toi bien décidé à y aller, est "J'irai quand même" !
Ce qui me surprend, c'est qu'évoquant les influences multiples de la famille, à part une phrase où tu dis "Ma mère gueulait" et une autre où, ton père mourant, quelqu'un te dit : "il faut que tu t'occupes de ta maman", tu ne parles pas de ta mère. Quel rôle a-t-elle joué dans ta lutte vers l'art ? Et même, quel rôle a-t-elle tenu dans ton évolution de jeune homme ?
Pour en venir à ton œuvre personnelle, je trouve que tu commences très fort, avec ce personnage bancal, vu de dos, seul sur la terre nue, face à un décor urbain tout noir ! Que de symboles, là-dedans, sans parler du fait qu'il soit boiteux, et que sa main gauche levée ressemble à s'y méprendre à la Faux ultime ! Ce que corrobore le titre : "Une vie de dessins": le problème est ainsi bien posé : peindre ou mourir !
Et le fait que le second soit daté de 2020 et en couleurs, n'est pas anodin : il exprime sans doute le chemin parcouru entre le misérable boiteux représentant le Sébastien Russo luttant contre l'adversité, et le "Seb" actuel. Et, bien qu'il le dise avec des fleurs, qui signifie (avec la féroce mâchoire en bas du tableau) que la lutte continue, même si elle se déroule en des temps meilleurs !
Il faudrait suivre ton chemin au long des dessins suivants tracés à lourds traits noirs, -sans doute au fusain ?-, qui suggèrent rage et angoisse par la violence avec laquelle ils sont jetés sur le papier ; et puis les autres, ceux je crois que tu as "appris" à faire aux Beaux-Arts, en couleurs, très géométriques, tracés au cordeau, sans aucune liberté de dépasser le trait ! Jusqu'à celui en noir et blanc que je trouve le plus terrible de tous, ce personnage de travers, accroché on ne sait à quoi, tout nu, paradoxalement peut-être féminin, vu la taille des seins et le fait que nul phallus ne se dessine entre l'amorce des cuisses, le crâne chauve, les yeux exorbités, hurlant de toutes ses dents ! Est-ce ta version du cri de Münch, à toi qui écris avoir "connu" des artistes via les halls de gares et les émissions de radios ? Si c'est oui, si c'est bien ton cri libérateur et final, tu n'aurais pu le dire mieux !!
Quel chemin parcouru entre ces œuvres et celles où tu en es venu, toujours chargées de psychologie, bien sûr, mais en couleur, avec des harmonies recherchées ; le temps du grouillement que j'évoque dans mon texte de 2017 où des têtes se chevauchent, se croisent, attestent que tu n'es plus seul, qu'un monde infini te côtoie.
Ce texte, relu hier soir, ne me semble pas avoir pris une ride, s'interrogeant sur ta démarche, sur ton "dit" actuel, en fait. Et ce n'est pas en vain que, ne sachant rien de toi, je l'aie intitulé "Fantaisies et fantasmagories", les deux mots résumant bien la façon dont tu t'es désormais libéré du carcan qui t'enserrait, et dont tu t'es mis à rêver !
"Il semble bien", écrivais je, "y avoir deux démarches, dans l'œuvre de Sébastien Russo : l'une où les personnages en pied ou en buste, sont seuls au milieu du support. L'autre, où l’œil du spectateur est à la fête, face à chaque toile fourmillant de subtiles vibrations, comme impatiente de "narrer" son histoire, en une sorte d’explosion, d’élan heureux des couleurs !
En effet, l'artiste crée des personnages aux traits raboteux comme lourdement ridés ; aux moitiés de visages dissymétriques, déséquilibrés par les grimaces du faciès ; à la chevelure hirsute souvent partiellement cachée sous des sortes de coiffes ? de foulards ? Sous lesquelles parfois disparaît un œil. Lorsqu'ils sont en pied, ces pieds -énormes !- supportent des jambes grêles écrasées par des corps à demi-dissimulés sous des oripeaux ficelés autour de leur taille fine ; au-dessus desquels le buste est couvert d'une sorte de justaucorps au large décolleté donnant naissance à un long cou ; lequel supporte la minuscule tête déjà évoquée. Et, de chacun, partent des bandelettes raides et pointues comme des sabres, déséquilibrant la silhouette de ces personnages.
Lorsque la tête est seule, hurlante et grimaçante, dents énormes en évidence, elle s'appuie sur un cou en tire-bouchon, yeux clos paupières serrées sur son cri. Des espèces de longues oreilles lui partent de la tête, ainsi qu'un embrouillamini de cheveux polychromes.
Il faut dire que si les personnages de ses tableaux sont peints avec des proportions fantaisistes et sans aucun fond, Sébastien Russo possède intuitivement la capacité de créer, à partir de ces disproportions répétitives, une sorte de "respiration" équilibrée, et subséquemment une grande harmonie. Ces déséquilibres pourraient bien, en fin de compte, être les éléments essentiels qui constituent l’originalité de ce créateur, et rendent ses oeuvres immédiatement reconnaissables.
Mais il propose aussi une autre partie qui emmène le visiteur dans une création beaucoup plus fantaisiste !
Car, avant tout, cet artiste est un coloriste. Possédant un sens inné des nuances qui lui fait associer des rouges et des jaunes en des progressions chaleureuses et éclatantes comme des envols d’oiseaux bigarrés ; des bleus de grands ciels ; et des verts des sylves gorgées d’eau ! Tout cela joint au mouvement propre des personnages de la toile, d’autant plus "mobiles", que le peintre organise chaque œuvre en une sorte de progression labyrinthique qui l’équilibre en tous sens, la rend "lisible" quelle que soit son orientation ! Au point que le visiteur a le sentiment d’entrer en une oasis où tout ne serait que danse et harmonies cinétiques !
Tout de même, en en venant à la conclusion, il apparaît que quelques questions pourraient avoir des commencements de réponses. Ainsi, "Car se pose la question de savoir qui sont les créatures élaborées sur la toile par Sébastien Russo ? Sont-elles simplement les projections fantasmatiques de leur auteur ? Car oiseaux, personnages ectoplasmiques ou mutants embryonnaires de quelque lointaine galaxie, tout se passe comme s’il sélectionnait des moments précieux de vagabondages erratiques, et les enfermait dans des alvéoles où il incomberait à chacun de devenir une histoire à faire rêver quiconque s’aventure dans leur univers ! D'autant que -malgré quelques écritures sporadiques peut-être en espagnol-, aucune connotation géographique, sociale, temporelle n’existe, susceptible d’apporter la moindre indication. Il s’agit d’une sorte de non-monde, de non-formes apparemment sans aucune définition précise", peut-elle donner à penser que désormais, malgré les déséquilibres, les oripeaux et les bandelettes évoqués plus haut (qui suggèrent quelques problèmes récurrents), tu as quitté ce passé trop lourd ; que tu as libéré ton esprit de toutes les contraintes de naguère pour voguer en toute fantasmagorie dans l'univers.
"(Néanmoins), ai-je terminé, ces scènes sont sereines, possédant une évidence tranquille ! Des "histoires" en couleurs douces, pour lesquelles, là encore, Sébastien Russo possède un véritable instinct : jamais de noirs, ou alors en surlignages fantaisistes. A peine quelques blancs vaporeux rehaussant ces plages colorées évoquées plus haut". Et la phrase finale "et font de ces tableaux en demi-teintes, des “images” calmes, reposantes, voire oniriques : une œuvre originale, poétique et jubilatoire, qui émoustille l’imaginaire et fait rêver le spectateur", confirme que, désormais, tu as trouvé la paix, et que tes œuvres imaginatives peuvent transmettre cette joie de vivre à quiconque regarde tes créations.
Jeanine RIVAIS